Marie-Hélène Voyer, L’habitude des ruines, Lux 24,95$

Voici un ouvrage admirable en tout : par l’extrême raffinement de l’écriture, dans un premier temps, qui renvoie directement au raffinement de la pensée, mais également par cet extraordinaire biais qui permet à Marie-Hélène Voyer de nous parler de la beauté. Le sous-titre du livre ne devrait pas vous induire en erreur; le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec évoque en effet ces maux propres à notre culture, mais il débouche sur son contraire, la mémoire et la beauté.

Qu’est-ce que la préservation du patrimoine? C’est une démarche qui va bien au-delà d’une entreprise muséologique. C’est, pour reprendre les mots de Fernand Dumont, cité par M. H. Voyer, «de vocation, le patrimoine devrait ramener aux sources d’une culture communautaire».
Devant les démolitions en série, les écroulements planifiés et des décors de carton-pâte éphémères, devant ce culte de la laideur et de l’oubli, M. H. Voyer écrit : «Un peuple ayant fait table rase du passé pour se construire un présent en toc annonce à coup sûr qu’il a renoncé à transmettre quoi que ce soit à l’avenir», sinon, ajoute-t-elle plus loin, «à bâtir le vide, joliment tournés vers l’avenir».

Nourrie de nos penseurs et écrivains, la finale de ce merveilleux livre, doit-on s’en étonner, est laissée à un romancier, Jacques Ferron, qui nous dit qu’il écrit pour ne pas qu’«à l’oubli succède l’indifférence de l’oubli».

La conclusion appartient en propre à Marie-Hélène Voyer et ce sont sur ses mots que je terminerai cette trop courte recension d’un si grand livre : «J’écris parce qu’en cette période de pandémie et de bouleversements climatiques, d’inégalités, de pauvreté et de violences ahurissantes, il importe de trouver des refuges , des lieux où pourrait s’épanouir, pour le plus grand nombre possible, quelque chose comme la vie bonne.»

Ahmet Altan, Madame Hayat, Actes Sud, 39,95$

Paul, le narrateur de ce roman, a vingt ans. Il est seul, loin de chez lui et passionné de littérature quand il tombe follement amoureux de Madame Hayat, de trente ans son aînée. Un amour fou et sensuel («Je n’avais d’yeux que pour son corps voluptueux, sa chair, ses plis et ses replis, qui m’appelaient partout, au coin de ses yeux, à la pointe des lèvres, sur sa nuque, sous ses bras, sous ses seins.») qui ouvre en lui un espace de liberté. C’est alors qu’il succombe également au charme de Sila, une jeune fille de son âge, avec laquelle il poursuit sa quête de sensualité et son amour de la littérature.

Ce roman est un hymne à la liberté, aux femmes et à la littérature écrit, on s’en souviendra, par un homme qui était privé des trois, puisque Ahmet Altan a composé ce livre alors qu’il était prisonnier politique dans cette moderne démocratie orientale qu’est la Turquie.

Douceur et langueur, intelligence et sensualité sont les mots qui me viennent à l’esprit pour évoquer le parfum irrésistible qui se dégage de ce roman. On croirait entendre une petite pièce musicale pour piano d’Érik Satie, une mélodie envoûtante comme une femme, enivrante comme la liberté et inspirante comme un grand roman d’amour.