Semaine du 7 juin – Mes grands frères

 Jean-Jacques Schuhl, Les apparitions, Gallimard, 22,95$

 

Voilà plus de quarante ans que je côtoie ces auteurs que je considère parfois comme mes grands frères. 

Il n’est pas difficile d’avoir tout lu Jean-Jacques Schuhl : cinq romans en cinquante ans, on ne parlera pas d’un auteur prolifique qui écrase le lecteur sous le poids de son œuvre. Cet extraordinaire dandy, l’un des rares de son temps qui remet au goût du jour le décadentisme de fin de siècle avec une originalité et une personnalité absolument uniques, me ravit à chacune de ses (rares) publications. 

Pour se faire une bonne idée de l’homme, il convient, bien entendu, de lire ses livres, mais rien n’empêche d’aller faire un tour du côté du cinéma de Jean Eustache, cet autre dandy dans son genre qui a décidé d’arrêter de filmer en même temps que de vivre, en 1981. Schuhl était son ami réciproquement et dans La Maman et la Putain, c’est lui que l’on retrouve sous les traits de Charles, l’ami d’Alexandre (le héros incarné par Jean-Pierre Léaud). Son portrait est tout ce que vous retrouverez dans ses livres : le goût de la décadence et du rien, des discussions ou des descriptions interminables autour d’un tout petit détail, un penchant certain pour la nuit et les paradis artificiels… Si l’oisiveté était pour Eustache et Schuhl, le langage de leur complicité réelle, Schuhl n’en a pas moins écrit.

Si après deux « romans » très expérimentaux et au tirage plutôt confidentiel (Rose poussière (1972) et Telex No 1), son talent a été reconnu (en autant que le malentendu soit une reconnaissance), avec l’attribution en 2000 du prix Goncourt pour son troisième « roman », Ingrid Craven, consacré à l’actrice – et sa compagne –, Schuhl ne s’est pas fait moins discret par la suite; c’est à peine s’il a un peu augmenté sa cadence.

S’en est suivi Entrée des fantômes (2010), une longue nuit d’errance dans les rues de Paris, où on croisera (discrètement) Eustache, et nombres de divagations hallucinées mâtinées de souvenirs très personnels; puis Obsessions (2015), un recueil de nouvelles insolites mettant en scène Jim Jarmusch, Andy Warhol, Helmut Berger, un gangster japonais, une femme cheval, etc.

Apparitions est son dernier opus. Le titre aurait pu être « Disparitions », tant l’auteur est aussi absent qu’un corps qui quitte son esprit (ou l’inverse, c’est à vous de voir). Pour un peu, je me suis demandé s’il n’était en train de poursuivre quelques conversations idiotes avec Jean Eustache, autour d’un Jack Daniel’s (« le roi des alcools », dixit Charles dans La Maman et la Putain) ou d’un bon champagne (le bon alcool des après-midi, dixit Schuhl aujourd’hui). 

 

Philippe Sollers, Graal, Gallimard, 22,95$

Je n’ai pas la prétention d’avoir tout lu Sollers, dont l’œuvre doit frôler la centaine de bouquins. Mais pas loin. Depuis tout jeune, il ne cesse de me tenir compagnie. Avec lui, j’ai appris que si la philosophie nous aide à vivre, c’est la littérature qui nous aide à mourir – ce qui est encore la seule certitude qu’il nous reste. Pour ce qui est de la vie, on ne sait jamais trop si on la rêve, si on l’écrit ou si on la lit. 

Si on se contente de répéter le mal qui se dit à son sujet ou si on persiste à ne pas le lire, comme le font la plupart de ses détracteurs, on passera à côté du très touchant autoportrait qui vient d’être réédité en poche, Agent secret; on se privera de mieux comprendre le Paris de l’intelligentsia française à la fin du XXe siècle (Femme); on ignorera son courageux Portrait du joueur et surtout, on restera dans la noirceur de l’ignorance en se privant des lumières de ses innombrables chroniques recueillies dans nombre de recueils que je considère vitaux dans la bibliothèque de tout gentilhomme qui se respecte : de La guerre du goût à Complots en passant par l’Éloge de l’Infini et le Discours parfait, chacun de ses volumes est aussi essentiel que ses livres sur Casanova, Mozart, Rodin ou Vivant Denon. 

Et si, comme moi, vous avez déjà lu tous ces ouvrages, vous n’aurez qu’à vous précipiter sur son tout dernier, Graal, qui vient de sortir. Vous y découvrirez une facette aussi insoupçonnée que grivoise de l’homme…

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