Semaine du 16 février –Trois accents d’intensité

 

Élise Turcotte, À mon retour, Noroît, 22,00$

Qu’est-ce qu’un recueil de poésie d’Élise Turcotte? La quintessence d’un recueil de nouvelles qui serait lui-même la quintessence de plusieurs romans. Nous sommes dans la fiction, dans mille histoires qui chacune traduit la justesse du regard sur les choses et l’émotion qu’elles font naître. Et la recherche d’un souffle pour dire cette émotion qui n’est souvent qu’une sensation, une caresse, une vision ou un mot (« canopée », p. 55).

Douceur et douleur parcourent ce recueil. Les sirènes sont multiples : tantôt créatures de rêve, tantôt alarmes annonciatrices d’un drame à venir. Le ton est à l’image du regard : juste et vrai. On dit alors que le style épouse la forme. C’est ce que fait Élise Turcotte et c’est ce qui la confirme comme « l’une des voix majeures de la littérature québécoise contemporaine », comme le dit si bien l’éditeur.

 

Chimamanda Ngozi Adichie, Notes sur le chagrin, Gallimard, 14,95$

Par quel hasard ai-je lu ce court récit de Chimamanda Ngozi Adichie, au moment où je lisais le recueil de poésie d’Élise Turcotte? Pourquoi ce même hasard a-t-il mis sur mon chemin ces deux petits livres qui ont résonné d’une aussi grande intensité? Je ne saurais le dire sinon qu’à jamais ils seront maintenant associés l’un à l’autre.

« Comment dire adieu à un être cher [le père] alors que le monde entier est frappé par une crise sanitaire, que le défunt repose au Nigeria et que ses enfants sont bloqués en Angleterre et aux États-Unis »? C’est le récit, ou plus exactement, les notes que Chimamanda Ngozi Adichie partage avec son lecteur. C’est parce que cette « indicible douleur » nous semble à proprement parler, indicible, que nous cherchons les mots pour le dire. Et Chimamanda Ngozi Adichie sait les trouver, simplement et magnifiquement. 

C’est à la page 71 que j’ai trouvé ce qui unissait les deux livres que j’avais en main : pour Adichie, le chagrin, c’est « la totale impossibilité de retour ». Pour Élise Turcotte, tout est encore possible « à mon retour ». 

 

François Gravel, Le deuxième verre, Éditions Druide, 19,95$

« Mon père buvait. Mes oncles buvaient, tout comme les pères de mes amis, mon frère, mes cousins. » Tout le monde buvait, en réalité. Tout le monde se réfugiait dans le silence et les pères et les fils étaient souvent réduits à échanger ensemble leur silence. C’est ce véritable portrait de famille que nous offre François Gravel dans un texte aussi court que percutant. Parler d’alcoolisme avec toute la sobriété voulue, c’est le moins qui se puisse.

J’aimerais ajouter que François Gravel parvient avec une facilité apparente à nous parler d’une tragédie qui ne dit pas toujours son nom. Il parvient à parler « de ce diabolique liquide qui est parvenu à bousiller des vies » sans aucun pathos et sans artifice. Un texte qui nous fera hésiter avant d’avaler le deuxième verre, mais qui se déguste comme… une bonne bière!