Pour Michel Houellebecq
Ou La rédemption par la fiction.
La raison de lire le dernier Houellebecq est assez simple et se résume à ceci : il est le Balzac d’aujourd’hui. L’ensemble de l’œuvre de Houellebecq, romans, articles ou entrevues, tout ce qu’il écrit pourrait figurer sous le titre général de «Comédie humaine» – ou, dans le cas présent, de «Tragi-comédie humaine».
Impossible de bien comprendre la révolution industrielle et la naissance du capitalisme sans lire l’œuvre de Balzac; impossible de bien comprendre la fin de la civilisation occidentale sans lire l’œuvre de Houellebecq – et pour ceux qui doutent encore de l’anéantissement de cette civilisation, je les invite à bien lire Houellebecq.
Anéantir est le 8e roman de l’auteur et à bien des égards, c’est le plus singulier de tous. Tout d’abord par sa taille – plus de 700 pages – mais également par sa construction et ses dérives thématiques. Anéantir s’inscrit dans l’esprit de La Carte et le Territoire pour sa toile de fond (il a troqué le milieu de l’art contemporain pour celui de la politique) et celui de Sérotonine quant au halo d’espoir qui s’en dégage.
Avec Anéantir, j’aurais envie de dire qu’on assiste à une extinction du domaine de la lutte, voire une insoumission à la dépression, un peu comme si Houellebecq s’était réconcilié avec lui-même. On croirait lire la carte du Tendre dans un territoire pacifié et sur une plateforme lumineuse. On retrouvera des parties élémentaires (mon cher Watson) qui ouvrent sur la possibilité de l’amour. Anéantir peut être lu A-néantir – «A» privatif de «Néant» – soit le contraire du nihilisme. Au final, Anéantir est surtout l’affirmation de la rédemption par la fiction.
Dans une critique aussi juste que sévère, Christian Desmeules a écrit dans Le Devoir au sujet d’Anéantir qu’il s’agissait d’un «roman obèse»; trop d’intrigues abandonnées selon lui, aux fils restés lâchement dénoués, ce qui n’est pas faux. Pourtant, cela m’a rappelé ce que notait Barthes à propos de Balzac; voilà un écrivain qui, lorsqu’il devait se corriger, ne cessait de rajouter du texte plutôt qu’en supprimer. Barthes en profitait pour noter que la vérité de la fiction, c’est aussi dans cette tentation d’ajouter au réel pour mieux en rendre compte. C’est ici que la filiation Balzac-Houellebecq me semble trouver tout son sens.
Sans vouloir dévoiler la finale du roman, on notera que l’apparition de Sherlock Holmes, après le suspense mis en place au sujet de mystérieux attentats terroristes, n’est pas gratuit, loin de là, et souligne précisément le pouvoir – sinon la rédemption – de la fiction. «Un auteur, écrit Houellebecq dans Soumission, c’est avant tout un être humain présent dans ses livres»; Michel Houellebecq n’aura jamais été aussi présent que dans Anéantir.
Voilà pourquoi il faut lire Houellebecq – et se réjouir de la nouvelle toilette qu’empruntent ses romans – couverture rigide, tranchefile et signet, rien de moins. Si les mesures que nos gouvernements érigent pour nous inviter à rester chez nous, si ces nouvelles contraintes peuvent vous inciter à lire les 736 pages de son dernier roman (qui vous procureront 736 instants jubilatoires – je les ai comptés), c’est que ces mesures n’auront pas été totalement inutiles. Joyeux confinement à tous!